Au lendemain de la remise du rapport de la CIASE [1], je veux m’adresser à vous tous, laïcs, religieux, diacres et prêtres qui constituez le Peuple de Dieu qui est en Vaucluse, et aussi à toutes celles et ceux qui vivent sur cette terre et voudront bien recevoir ces lignes.
Nous avons peut-être regardé, mardi matin, la restitution du rapport de la CIASE, nous avons lu la presse, et bien des réactions, nous en avons parlé avec d’autres…ou pas.
Les mots sont difficiles, tant la réalité décrite dans la rudesse des chiffres est violente et impressionnante.
Ce qui nous est révélé a quelque de chose de terrifiant.
Et cela se passait il y a peu… se passe encore.
Nous n’avons pas su être attentifs, entendre, protéger…
Ce nous, c’est celui des évêques, mais aussi des prêtres, des familles, des proches… de l’Eglise…
Il nous faut sans doute nous demander comment nous inclure dans ce nous !
Au cœur de cet événement se déploie une révélation…
Révélation du mal commis,
du mal subi, de la violence sournoise, des vies abîmées, des blessures profondes qui demeurent. Il est si facile de ne pas les percevoir. Il faut avoir rencontré et écouté beaucoup de victimes pour l’approcher quelque peu.
Ces personnes blessées sont là au milieu de nous… nous en sommes peut-être. Cette blessure est si intime qu’elle peine à s’exprimer, et pour certains ne s’exprimera peut être jamais.
Ce qui a été rendu possible par leur témoignage est un moment essentiel pour chacune d’entre elles. Le rapport les reconnaît toutes, permet à chacune de ne pas se sentir enfermée, isolée, il vient rendre toute personne acteur de cette révélation et du renouvellement qui peut en surgir. C’est le premier grand fruit de l’important et remarquable travail accompli.
Révélation d’une responsabilité dont nous ne mesurions pas toute l’ampleur.
Celle-ci n’est pas la même pour chacun.
Evêques, nous avons à regarder encore ce qui nous incombe en termes de prise de conscience, de décisions courageuses et de mises en œuvre… cela appellera des dépassements exigeants.
Prêtres, nous avons à porter ce fardeau de nos frères, à nous interroger et à chercher sans crainte la juste attitude dans la relation avec les personnes.
Laïcs, nous avons à demeurer confiants et attentifs pour que personne ne se sente isolé et rejeté et que les communautés que nous formons offrent un espace confiant et sûr pour chacun.
Révélation d’une tâche.
Il ne s’agit pas de vivre cette étape pour, rapidement, passer à autre chose.
Il nous faut nous laisser rejoindre, remuer, pour que cette blessure nous rejoigne, nous rende plus proches et plus concernés par ceux qui les premiers sont atteints.
Nous pouvons nous aider à ne pas mettre un voile sur cette vérité qui dérange et nous attacher à la laisser nous rejoindre pour la prendre à bras le corps. Nous laisser questionner, interroger… chacun personnellement, et aussi ensemble en Eglise.
C’est bien toute notre Eglise qui a à affronter cette lourde étape.
Nous allons peu à peu lire et recevoir ce rapport. Il ne peut s’agir d’en faire une traversée rapide.
Nous aurons à nous proposer des lieux d’échange et de parole.
Il faudra aussi interroger des comportements et engager des décisions.
A Lourdes, en Novembre prochain, nous reprendrons tout cela pour, comme évêques, en tirer les conséquences.
Que ce temps soit pour nous celui de l’accueil de cette blessure profonde au sein de l’Eglise du Christ. Elle met à mal la mission qui est la nôtre, le témoignage rendu. Elle nous appelle à beaucoup d’humilité et de responsabilité.
Ce sont des temps d’effroi mon Dieu, écrivait Etty Hillesum en juillet 1942.
Je vais te promettre une chose mon Dieu…
Je vais t’aider mon Dieu à ne pas t’éteindre en moi [2].
Puisse son attitude appeler et soutenir la nôtre.
+ François Fonlupt
Archevêque d’Avignon
[1] Commission Indépendante sur les abus sexuels dans l’Eglise, présidée par Mr Jean-Marc Sauvé
[2] Etty Hillesum, Une vie bouleversée, Seuil 1985, p 166